Lettre du 3 novembre 1945

Lettre du 3 novembre 1945Mulhouse , le 3 novembre 1945

Très chers parents, très chère sœur,

J’ai reçu il y a quelques instants la lettre écrite par Yvette, et ayant un court instant de liberté j’en profite pour y faire réponse. Aujourd’hui, il fait un temps magnifique, le ciel est pur et un soleil assez chaud réchauffe une terre qui se refroidit lentement à l’approche de l’hiver. En ce qui concerne la santé, elle est excellente pour l’instant ; j’espère qu’il en est de même chez nous. En réponse à la demande de papa, il est possible de vous faire parvenir une couverture américaine, ayant encore les miennes. Pour la question tickets d’alimentation, il faudrait que maman me dise sur une prochaine lettre les numéros de ces tickets. Pour ma part, [illisible] les tickets de matières grasses, dans la limite de 15 grs par jour, et ceux de viande m’intéressent, puisqu’on me les demande au mess [1].

J’attends toujours ma nomination qui se fait attendre. Et Dieu sait si c’est urgent. J’ai écri[t] une lettre au Commandant Henry [2], pour le prier de se renseigner auprès du Colonel Bernard, j’attends sa réponse. Tant que cette nomination ne sera pas effective, il ne faut pas que je compte être payé (l’Intendance me doit jusqu’à présent près de 20 000 francs). Enfin, elle me fera tout de même le rappel en temps opportun lorsque le papier officiel attestera mon intégration dans les cadres. Je tire le plus possible sur la ficelle, mais le peu d’argent qui me reste en poche ne saurait subsister bien longtemps encore. Yvette me passe un savon sur sa lettre lorsque je dis que je désire partir en Indochine lorsque ma nomination sera effective. Mais je [ne] vous répondrai qu’une chose : lorsqu’on voit le bordel dans l’armée, on ne demande qu’une chose, partir pour ne plus le voir. A part cela tout va très bien. Si par hasard, papa rencontrait le Cdt Henry au cours de sa promenade, serait il assez gentil pour demander si le nécessaire a été fait au Ministère de la Guerre et si l’on peut me donner une réponse dans les plus brefs délais. Si la réponse est affirmative, voudriez-vous m’envoyer un télégramme, je ne tiens en place depuis une huitaine de jours.

A part cela, je ne vois plus grand-chose à vous dire, si ce n’est qu’une question relative à la couverture. Comment faut-il vous la faire parvenir. L’envoyer par la poste ou en bagage serait trop scabreux : elle risquerait de prendre une autre destination.  Je ne pense pas aller en permission avant un mois au moins : pour une durée  de 16 jours. La saison froide approchant, il faudrait que cette couverture arrive chez vous avant ce délai. J’attends donc votre réponse qui me guidera à ce sujet là.

Je termine cette courte lettre en vous embrassant tous bien fort.

Serge

Notes :

1. Le rationnement institué en 1940 se prolongea jusqu’en 1949 pour certains produits.

2. À titre de commandant du 1er bataillon du 2e Régiment F.F.I. Armor, Robert HENRY avait été le supérieur hiérarchique de Serge (voir l’article Serge JEANDOT, résistant) ; il demeurait alors 16 avenue Louise à Villemomble (Seine-Saint-Denis).

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