La banlieue – Du « lieu du ban » à la « cité »

Publié par Alain GAGNIEUX le 11 novembre 2007 dans la catégorie Histoires de banlieues

N’y a-t-il pas banlieue et banlieue ?

Dans notre imaginaire collectif, la banlieue a de multiples visages. Il y a la banlieue des écrivains et des peintres, celle des cinéastes et des photographes. Mais prédomine aujourd’hui une image de la banlieue forgée par les médias, ceux-ci retenant ce qu’il y a de plus impressionnant et de plus spectaculaire, nous imposant ainsi la vision de territoires cumulant tous les problèmes de notre société : chômage et misère, discrimination, échec scolaire, drogue, violence, délinquance, etc. Parlons plutôt « des » banlieues, tant elles sont contrastées. Aucune similitude en effet entre banlieue résidentielle et bidons-villes, grands ensembles et zones pavillonnaires, parcs de loisirs et zones industrielles…

Qu’est-ce que la banlieue à l’origine ?

Au début, c’est à dire au Moyen-âge, la ban-lieue est le « lieu du ban ». Il s’agit de cet espace entre ville et campagne sur lequel le seigneur, l’abbé ou la municipalité exerce le droit de ban (ordonner, interdire, juger, faire payer une redevance…).
À partir des années 1820, la banlieue offre un cadre plutôt romantique, convoité par l’aristocratie, et plus tard par la bourgeoisie. Mais vers 1860, le développement de l’industrie se traduit par l’accumulation d‘ateliers et d’usines autour des grandes agglomérations auxquels s’agrègent les habitations ouvrières.

Comment en est-on arrivé aux grands ensembles, autrement dit aux « cités » ?

Dans la France d’après 1945, les gens on souffert du manque de logement. Il fallut donc construire en masse et très vite. Ainsi, c’est à partir de 1953 que se généralise la préfabrication des éléments de constructions que l’on assemble en hâte le long de « chemins de grue ». En dix ans, 200 ensembles de plus de 1 000 habitants seront construits, représentant 2,2 millions de logements, de type locatif essentiellement.
En matière d’urbanisme, Le Corbusier [•] préconisait dès 1925 la densification de l’habitat sur le modèle des gratte-ciels américains. Il défendait l’application des principes « fonctionnalistes », selon lesquels sont dissociés lieux de travail et lieux de résidence. C’était un pari sur les conditions de la mobilité quotidienne et sur l’organisation des transports. En effet, la construction de ces grands ensembles correspondait à la diffusion de l’automobile dans les couches les plus modestes de la population.

  • Charles Edouard Jeanneret (1887-1965), dit Le Corbusier, architecte, urbaniste, peintre et théoricien, exerça une influence considérable dans le monde entier.

Ainsi, dès la fin des années 50, le grand ensemble est devenu en France la référence de la planification et de l’aménagement urbain. Il répondait parfaitement à cette logique de rationalisation économique qui conduisit au gigantisme de beaucoup de programmes urbanistiques, ainsi qu’à la monotonie, la grisaille du cadre de vie des banlieusards.
Toutefois, jusqu’à la fin des années 60, emménager dans un ensemble HLM est une promotion. En effet, ces nouveaux logements collectifs proposent un confort (chauffage central, eau courante, salle de bains, ascenseurs, vide-ordures) que beaucoup de nouveaux arrivants n’ont jamais connu. Et il faut bien reconnaître que ces espaces ont été en France, de la Libération à la Vème république gaullienne, les éléments essentiels de la reconstruction et de la modernisation.

Pourquoi ces cités HLM ont-elles été, dès leur création, vivement critiquées ?

Dès le début des années 60, il s’avère que la réalité des grands ensembles ne correspond pas aux ambitions de leurs concepteurs. Il y a pourtant des ensembles de qualité, mais trop souvent les constructions sont de qualité médiocre, localisées à la périphérie des villes, loin du lieu de travail, mal desservies par les voies de communication et les transports. Les équipements collectifs manquaient, les voies de circulation n’ont rien de ce lieu de sociabilité qu’était la rue, avec ses bistrots, ses boutiques et ses échoppes.
On s’aperçoit après coup que les conditions mêmes du peuplement des grands ensembles sont à l’origine de fortes tensions sociales. En effet, la population est socialement et culturellement hétérogène. De plus, les familles se situent à des moments différents de leur trajectoire résidentielle : pour les plus favorisés leur résidence dans un grand ensemble ne représente qu’une étape, alors que pour les autres l’arrivée dans un grand ensemble représente la fin de leur trajectoire. Aussi, après le départ progressif des catégories sociales les plus aisées, se sont créées dans un grand nombre de cités des zones d’habitat occupées majoritairement par des ménages qui n’ont pas les moyens d’aller ailleurs.
Cependant, il nous faut nuancer ce tableau et rappeler combien a été funeste le rôle des médias dès l’apparition des premiers grands ensembles, notamment dès 1954 quand les journalistes décrirent de manière très négative la toute nouvelle cité de Sarcelles – sans y avoir mis les pieds.

Ce que les journalistes appellent « problèmes des banlieues » n’est pas exclusivement lié à des erreurs de conception urbanistique ?

Malgré des erreurs et des négligences, ces nouvelles cités ont apporté un réel confort à des générations qui n’avaient connu jusque là qu’un habitat précaire. Mais la société a changé, et ce qui fut un progrès pour une génération n’est plus acceptable pour les suivantes. Celles-ci ont de nouvelles aspirations : faire de bonnes études, progresser dans l’échelle sociale, consommer, s’épanouir individuellement, etc. On ne peut donc faire porter tout le poids des diff icultés des cités sur les épaules des urbanistes et des architectes. Il est évident aujourd’hui que d’autres facteurs sont à prendre en compte : chômage des jeunes, blocage de l’ascenseur social, concentration de la pauvreté, discriminations ethniques et géographiques, montée du communautarisme…


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