Lettre du 10 septembre 1945

Lettre du 10/09/1945Mulhouse, le 10 septembre 1945

Mes très chers parents, très chère Yvette

Je viens de recevoir à m’instant même la lettre expédiée le 7 courant de Paris et j’y fais réponse.

En ce qui concerne ma demande de mutation elle a au contraire des chances d’aboutir puisque les Commissariats Militaires de Gare [1] sont supprimés en date du mois d’octobre,  le 1er exactement. [Illisible] officiers reçoivent en ce moment des ordres d’affectation en Allemagne et en Autriche. Pour ma part, je pense avoir une réponse d’ici le 1er.

En ce qui concerne notre solde, nous n’avons encore rien reçu. Nous attendons toujours et d’après l’Intendance de Colmar interrogée avant-hier par téléphone il ne faut pas compter recevoir quelque chose avant le 20 courant. Enfin, vaut mieux ne pas dire ce que l’on pense lorsque l’on voit cela. [Illisible] nous lisons les journaux et nous pensons qu’il va y avoir du grabuge en France lors des prochaines élections [2] parce que l’on ne considère l’Armée française comme l’on devrait le faire. D’ailleurs tous les régiments formés avec les anciens F.F.I montent en occupation en Allemagne et sont remplacés en France par des troupes venues de la 1ère Armée française c. à dire d’Afrique. Il parait que l’armée mange 1/9 de la viande et 1/10 des pommes de terre produites en France, d’où suppression de celle[s]-ci en grande partie. Je voudrais bien savoir si au cours des mois où nous [nous] faisions casser la gueule, ces journalistes (il s’agit de France Soir) trouvaient à redire sur l’Armée. Nous manquons de troupes en Allemagne et on démobilise à tort et à travers. On renvoie dans leurs foyers des militaires de carrière ayant 10 et 12 ans de service sans pensions ni retraites. Il y a de quoi désespérer [d’]une France puissante.

En ce qui concerne les citations j’ai entendu dire [illisible] de mon côté qu’elles étaient toutes sorties mais enfin en ce qu’il en est de Villemomble, l’on arrive quand même à se demander pourquoi et pour quelles raisons il n’y en a aucune d’homologuée.

Je ne suis pas allé à Saint-Louis et si par hasard j’y rendais visite je ne parlerai pas de nos meubles [3]. Je ne me souviens pas de l’employé S.N.C.F. en gare de Mulhouse à qui il aurait fallu que je donne le bonjour. Pourriez-vous me le rappeler.

J’ai reçu des nouvelles du Lieutenant Martinet-Maisant qui est maintenant comme régulateur S.N.C.F. à Cherbourg.

Je ne vois plus grand-chose à dire si ce n’est qu’il n’y a pas de thermomètres médicaux à Mulhouse, il faudrait aller à Strasbourg et encore il n’y a qu’une maison qui en vend et au compte gouttes.

Je termine en espérant que cette lettre vous trouvera en excellente santé et en embrassant tous bien fort. Ah. J’oubliais. Si par hasard je reçois ma mutation pour l’Autriche, je réclamerai ma permission de détente de 10 jours avant de partir là-bas.

Serge

Notes :

1. Voir la note 1 de la Lettre du 5 octobre 1945

2. Allusion aux scrutins du 21 octobre 1945 comprenant un référendum constitutionnel et l’élection d’une Assemblée constituante.

Le référendum comporte deux questions. D’une part, les Français ont à se prononcer sur le maintien (oui) ou la suppression (non) de la IIIème République. D’autre part, il leur est demandé − dans le cas où pour la première question le « oui » l’a emporté − si l’Assemblée constituante − qu’ils ont à élire dans la foulée − doit avoir (oui ou non) des pouvoirs limités.

À la première question, les électeurs répondront « oui » à 96%, et à la seconde, « oui » à 66 %. En conséquence, une Assemblée constituante sera élue avec 160 sièges pour le PCF, 152 pour le MRP, 142 pour la SFIO, 59 pour les Radicaux et 61 pour les modérés. Cette Assemblée désignera le général de Gaulle comme chef du gouvernement (il démissionnera le 20 janvier 1946) et le projet de constitution sera refusé par le référendum du 5 mai 1946… C’est enfin le 13 octobre que la France réussira à se doter de nouvelles institutions, celles de la IVème République.

3. La famille de Serge a été évacuée de Saint-Louis le 1er septembre 1939. Les « Français d’origine » étant devenus indésirables, les Jeandot ne pourront ni regagner leur domicile ni récupérer leurs meubles. Voir l’article Famille Jeandot – L’évacuation de Saint-Louis le 1er septembre 1939.

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