Lettre du 17 mai 1946

460517Poste des Ateliers de Mi-Au, le 17 mai 1946

Mes très chers parents,

Ma très chère sœur,

Je trouve en attendant le déjeuner un instant de liberté que j’emploierai à vous écrire une petite lettre, bien courte puisque les événements dignes d’être signalés sont bien rares depuis quelques jours.

Je traiterai pour commencer la question santé : en ce qui me concerne elle est excellente. Mon pied se rétablit progressivement et je pense que demain il me sera possible de courir comme un lapin. Je vais pouvoir enfin repartir en patrouilles et participer aux opérations de nettoyage. Je reste assis à longueur de journée et de temps en temps je reçois la visite de l’infirmier qui vient me faire un massage. Quelle vie !…

Notre vie coloniale s’organise peu à peu, le teint bruni de plus en plus. Avant hier une note de service de l’Autorité Supérieure arrivait jusqu’à nous : celle-ci demandait les noms des volontaires pour un séjour en Indochine  de deux ans et demi (le séjour colonial normal). J’ai donné mon acceptation et très rares sont ceux qui ont demandé le contraire. Je comprends de plus en plus la beauté de la vie coloniale, la vie de broussard et les européens qui au retour en Europe redemandent à partir dans leurs colonies ne me semblent pas « fous ». La vie y est beaucoup plus active, pleine d’imprévus, d’exercices. Chaque jour nous apprenons des choses que l’on ignorait la veille.

Notre chambre, notre lieu de repos et de détente : en voici la description. Au premier étage d’une villa, habitée avant tous les événements d’Indochine par un européen de la C.F.I., cette chambre a une superficie de 20 m² environ. Dans les deux coins qui encadrent la fenêtre se trouve deux lits de camp (nous logeons à 2 s/lieutenants). Au milieu de ces deux lits, mon bureau genre moderne juste devant la fenêtre. Derrière moi deux vastes fauteuils en cuir jaune encadrent une petite basse recouverte d’une glace . Sur cette table se trouve posé un pot de leurs chatoyantes. Au fond de la pièce deux armoires. Entre celles-ci un autre bureau : celui de mon camarade. Et voici le schéma de cette « piaule » :

460517_plan

Voyez-vous nous sommes installés comme des princes. Aussi ne nous plaignons pas de notre situation présente.

A part cela comment allez-vous ? La santé est-elle bonne ? Je l’espère. De mon côté tout va très bien. Je souhaite que cela continue. Je pense descendre en ville, c. à d. à Saïgon, au début du mois prochain pour deux jours de permission. Je termine sur ce court monologue pour prendre quelques instants de repos, puisqu’il est 13 h 20. La sieste est obligatoire dans ce pays.

Je termine en espérant que celle-ci vous trouvera en excellente condition.

Je vous embrasse tous bien fort.

Serge

Sous-Lieutenant Jeandot Serge

5e Compagnie

S.P. 53.342.

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