Ahmed DAHMANI, imam à Planoise

Les valeurs prêchées : tolérance et fraternité

Propos recueillis par Colette Bourlier et Alain Gagnieux les 21 septembre et 31 octobre 2006 pour le recueil intitulé Les Nord-Africains à Besançon – De la Libération aux années 60, Ville de Besançon, 2007.

Ahmed DhamaniAhmed Dahmani est né en 1933 au Maroc, à Laazaib, près de Fès, un village de 300 maisons environ. Ses parents étaient paysans ; ils cultivaient du blé, récoltaient des figues et des olives. Ils avaient des vaches, des moutons et des chèvres ; en tout une vingtaine de bêtes. Cela leur suffisait pour vivre.

Très tôt, le jeune Ahmed veut devenir imam : « celui qui connaît le Coran, la religion, celui qui dirige la prière ». Il va donc étudier le Coran dans la petite mosquée de son village. « Maintenant, des écoles, il y en a partout, mais avant, il n’y avait que la mosquée ». Il deviendra imam du village vers 1953-1954, fonctions qu’il occupera jusqu’en 1968, année de son départ pour la France.

Arrivé à Besançon, Ahmed Dahmani est embauché le 30 novembre 1968 comme ouvrier par l’entreprise Croppet [1], dans le quartier de Rosemont, où il retrouve une quarantaine d’immigrés marocains comme lui. Au service de ses collègues coreligionnaires, A. Dahmani reprend progressivement son activité d’imam.

Il loge alors dans un petit appartement de la rue Ernest Renan, qu’il quittera en 1974, pour aller avec son épouse Fatima dans le quartier des Montboucons, puis de là en 1979 à Planoise qu’il ne quittera plus.

La prière avait lieu dans l’ancien cinéma Montjoye, avenue Montrapon, et au foyer de l’AATEM, avenue

Ahmed DAHMANI et son épouse en 2007, à l'emplacement de la future mosquée de Planoise.

Ahmed DAHMANI et son épouse en 2007, à l’emplacement de la future mosquée de Planoise.

Clemenceau. Puis ce fut rue de Vesoul et au chemin des Montarmots. À cette époque, dans les années 70-80, il n’y avait pas plus d’une centaine de fidèles. À Planoise, les musulmans se retrouvaient dans une cave, au numéro 8 de l’avenue Ile de France. Puis, au début des années 90, c’est au pied de l’immeuble du 9 rue de Cologne que fut aménagée ce que les habitants de Planoise appelèrent la mosquée. Néanmoins, ce n’était encore qu’une simple salle de prière. En mai 2006, ce bâtiment fut –selon l’expression consacrée – « déconstruit » [voir photo], et il fallut transférer le lieu de prière au numéro 20 de la même rue.

Le culte et la gestion de la mosquée sont dirigés par l’association Fath, qui signifie « ouvrir, offrir, la porte ouverte à tout le monde ». Son président est Jilali Fellaou et son imam Ahmed Dahmani. L’association regroupe 350 à 400 fidèles. Pour la construction d’une mosquée de 4000 m², la commune a conclu avec la Fath un bail à long terme pour un terrain situé du côté d’Avanne (vers le crématorium). Le financement des travaux est assuré grâce aux dons des fidèles. Ainsi, quand il n’y a plus d’argent, les travaux s’arrêtent.

Quand on demande A. Dahmani si la mosquée est ouverte à tout le monde, il répond qu’« il n’y a qu’un seul Coran pour tout le monde. Pour nous les Sunnites, il y a quatre chemins : ceux des quatre imams : Malik, Ash-Shafi’i, Abu Hanifah et Ahmad. Mais tous ces chemins se rejoignent. Ensemble à la prière, il y a des Algériens, des Marocains, des Tunisiens, des Mauritaniens, des Yéménites, des Libanais,… quatorze nationalités différentes. Souvent, le curé de Planoise vient avec nous faire le repas du ramadan. Des non musulmans viennent à la prière. Il n’y a pas de différence. Le Coran dit : il faut entrer car c’est le même chemin pour tout le monde ». Et A. Dahmani de rappeler que l’ islam a les mêmes racines que le judaïsme et le christianisme, et que par conséquent ces trois religions monothéistes ont beaucoup de choses en commun. « Quand le pape Jean-Paul II est mort, j’ai fait la prière à l’église. L’imam algérien de la sunna de St-Claude était là, et celui de Montarmot aussi. Il faut ouvrir à tout le monde. Juifs, chrétiens, musulmans, nous sommes tous frères ». À Planoise, ceux qui veulent une application stricte de la charia, « disaient que c’était interdit de faire la prière avec moi, parce que j’étais entré dans une Église. Pourtant, tout le monde, tous les juifs, les chrétiens, les musulmans suivent le même chemin. L’islam est ouvert ».

Puis vient la question du foulard, du hidjab. « Le port du hidjab est prescrit par le Coran ; il est donc en principe obligatoire. Mais ici les femmes portent le voile volontairement ; le foulard, c’est pas être tout en noir, comme ce que je vois à Planoise ». Son épouse Fatima intervient pour dire que porter le voile « ça vient du cœur ! ».

Monsieur et Madame Dahmani ont eu quatre filles et un garçon. Les uns pratiquent l’Islam, les autres pas, et ceux de leurs enfants qui pratiquent ne portent pas le voile. A. Dahmani reprend : « Il ne faut pas obliger les gens en religion. Pour le prophète c’est interdit ».

Dans la famille Dahmani, les parents ont la double nationalité, française et marocaine, et les cinq enfants sont français. Ils n’envisagent pas de retourner au Maroc : « Là-bas, c’est pas comme ici. Pour les vacances, oui, mais pour y vivre, c’est difficile. Même pour nous. On voudrait se faire enterrer ici, pour rester vers les enfants, mais le carré musulman de Besançon est insuffisant. On en discute en ce moment avec la mairie ». En attendant, beaucoup n’ont d’autre choix que de se faire enterrer au pays. Pour ce retour forcé, « Algériens, Marocains, tous ont pris une assurance pour couvrir les frais de transport ».

Notes :

1. Du nom de Pierre CROPPET, artisan-boucher de Besançon, qui, dans les années 50, réunit sous sa direction plusieurs boucheries-charcuteries, ainsi qu’un atelier de salaisons. Quand A. Dahmani y travaillait, l’entreprise employait 350 salariés ; elle transformait l’essentiel de l’abattage des porcs effectué à Besançon.