Lettres d’Indochine – Sommaire

Lettres d’Indochine

familleSerge2Après la guerre, la situation de l’Indochine était confuse. La reddition japonaise n’était intervenue en Cochinchine que le 30 septembre 1945, alors qu’Ho Chi Minh – fondateur du Vietminh en 1941 – avait proclamé l’indépendance du Vietnam le 2 septembre 1945. Et pour compliquer le tout, l’armée chinoise entrait au Tonkin.

Toutefois, l’URSS abandonnant le Vietnam à l’influence occidentale, les communistes vietnamiens se retrouvèrent seuls face à la France, celle-ci comptant bien retrouver son influence dans la région. En effet, le Général Salan signa avec Nguyen Giap (1) un accord de coopération militaire et la France obtint de la Chine, non sans contreparties, le retrait de ses troupes. D’autre part, dans le cadre de l’Union Française, la République de Cochinchine fut proclamée le 1er juin 1946.
Or, l’insurrection des partisans d’Hô Chi Minh le 21 décembre 1946 plongea l’Indochine dans la guerre (2). Jusqu’ici, le corps expéditionnaire français menait des opérations de pacification (3). Sa stratégie consistait à protéger les routes en aménageant des fortins dotés de petites garnisons.  C’est dans ce contexte que se situe l’histoire de Serge JEANDOT en Indochine.

26 avril 1946 – Pendant quatre ans en France, en tant que F.F.I., nous faisions aux troupes allemandes une guerre de guérillas […]. Tandis que les rôles sont changés : je prends la place de l’occupant et les membres du Viet-Minh deviennent les F.F.I.

27 avril 1946 – A part cela je pourrai dire comme la chanson : Tout va très bien Madame la Marquise.

30 avril 1946 – Le Viet-Minh s’en vint chatouiller l’un de nos postes et après un combat d’une heure et demie ils se retirèrent.

9 mai 1946 – Les opérations se succèdent et les patrouilles dans la brousse ou dans les villages occupés par le Viet-Minh se font journellement. La nuit, au contraire nous sommes sur la défensive dans nos postes : le Viet-Minh nous rend parfois visite. […] Question matériel et équipement : nous sommes équipés et armés soigneusement sur le type anglais.

13 mai 1946 – Nous jouons toujours au chat et à la souris avec le Viet-Minh. […] Nous venons d’apprendre les résultats du référendum : le M.R.P. à l’air de l’emporter.

14 mai 1946 – Je vais maintenant vous annoncer une nouvelle qui certainement vous fera plaisir : il nous est possible d’expédier en France des colis de riz, café, thé, poivre. […] Notre compagnie déplore depuis hier matin son premier mort. La section de l’un de mes camarades est tombée dans une embuscade à la lisière d’un bois.

16 mai 1946 – Je plains les pauvres “zazous” de Paris et d’ailleurs […]. Dieu sait si notre Indochine manque de jeunes bras pour la relever.

17 mai 1946 – Je comprends de plus en plus la beauté de la vie coloniale, la vie de broussard.

26 mai 1946 – Pendant plus de cinq-cents mètres, mes hommes et moi-même pataugeâmes dans la vase. Nous en avions jusqu’à la ceinture.

4 juin 1946 – Vous me demandez ensuite de vous parler de ma vie. […] Quoiqu’il en soit : réveil à 6 heures, éducation physique, petit déjeuner, puis travail de terrassement (défenses) et opérations …

17 juin 1946 – Et le ravitaillement, est-il toujours aussi mauvais ? Pourtant on ne peut pas dire que ce sont les Allemands qui s’emparent de tout ; ils ne sont plus là. Mais le marché noir les a remplacés avantageusement. Qu’attend-t-on pour mettre en prison tous ces affameurs professionnels qui profitent du malheur de leur patrie pour se remplir les poches ?

26 juin 1946 – Il est 14h30. La plupart des gradés et légionnaires font la sieste. Seul, sur le bureau voisin, le secrétaire du Peloton, le légionnaire Carel, lit l’Os Libre et parfois éclate de rire. […]. Mon ordonnance sommeille à mes pieds, Ho-Chi-Minh, notre petit chien, s’amuse avec mes lacets de chaussures et pousse parfois de petits grognements.

11 juillet 1946 – Nous avons quitté une région entièrement pacifiée pour nous retrouver dans une ile, comprise entre deux bras du Mékong, infestée de salopards plutôt remuants et actifs.

30 sept. 1946 – Aussi ne vous étonnez pas lorsque je vous dis que je fais fusiller sans serrement de cœur tous les rebelles faits prisonniers. Mais avant de mourir ils passent à la torture. Ils sont décapités et jetés à l’eau.

Notes :

1. Futur vainqueur de Dien Bien Phu.

2. Le contexte international de la Guerre froide et de la progression des communistes chinois créait un terrain propice à la reprise des hostilités. Sous la pression des Américains, les Français prirent un tournant politique et militaire qui consista à restaurer une administration coloniale.

3. Le général Giap était loin d’avoir constitué les divisions qui, huit ans plus tard à Dien Bien Phu, devaient venir à bout des troupes françaises.

Voir aussi :

Il voulait être un héros – Pour en savoir plus et mieux

Album de Serge JEANDOT au 3e Régiment Étranger d’Infanterie

La vulnérabilité des postes du Corps expéditionnaire

Une ambiance générale de cruauté

Clair de Lune d’un ciel à l’autre – Itinéraire d’une Vietnamienne au gré de l’Histoire

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